25 janvier, Pékin, 1h10 du matin. Je contemple mon petit garçon filant tout droit vers la porte d’embarquement, sac à dos bien arrimé sur ses frêles épaules. Papa et lui rentrent à Paris. Maman – voyageuse supersonique – continue seule sa route dans l’hiver sibérien. -22° dans la nuit pékinoise, voilà de quoi valider mes galons de baroudeuse solitaire. Le cœur lourd de laisser les miens, mais léger de filer dans quelques heures à travers les premiers déserts de cette grande Route de la Soie chinoise qui m’appelle depuis l’adolescence. Cet axe majeur du commerce entre Orient et Occident fut active durant plus de 10 siècles, périclitant avec l’avènement de la nouvelle Route des Indes maritime. La Route de la Soie ressemblait alors à ça :
Retour à l’hôtel, quelques heures de sommeil, puis taxi pour la grande gare de l’Ouest. Le souvenir des gares chinoises fumantes de ma jeunesse, où s’entassaient des milliers -des millions, je n’ai jamais bien su- de voyageurs éreintés, trainant ballots non identifiés, enfants ensommeillés, grands-mères déboussolées, s’efface pour laisser place à la stupeur. Gare de l’Ouest, donc, janvier 2018. Temple pharaonique du high tech de la nouvelle et glorieuse Chine, c’est un hub plus grand qu’un aéroport de province qui m’accueille, à l’organisation implacable mais bien reposante en comparaison avec les gares du passé. Heureusement, quelques colis ficelés de bric et de broc distillent encore ça et là leur Mao-nostalgie. Et les Chinois se bousculent toujours pour entrer dans les trains, malgré les places numérotées. Instinct darwinien bien rôdé, en terre du milliard.
Première étape de cette chevauchée ferroviaire vers l’Ouest, Xining. Petit crochet pré-himalayen non prévu au départ, rajoutant 23h de train à mon programme serré, mais l’appel du Ta’Er Si est trop fort.
Monastère du bouddhisme tibétain parmi les plus vivaces de Chine, le Ta’Er Si se situe à quelques kilomètres de Xining, ville à majorité Hui musulmane. Sa fondation remonte au XVIe siècle, sur le site où naquit le fondateur de l’école Gelugpa, la mystérieuse secte des « bonnets jaunes ». C’est ici-même qu’Alexandra David-Néel séjourna entre 1918 et 1921. Sous un franc soleil qui annonce les ciels du plateau tibétain, me voici sur ses traces, errant de temples en salles de prière, de cours secrètes en places pavées où s’ébrouent de jeunes moinillons tout de pourpre vêtus, pendant que deux pieuses grands-mères tibétaines polissent les cuivres sacrés des ex-voto avec de grandes poignées de tous petits coquillages multicolores.
Instant de grâce devant la sécularité du geste, toujours recommencé, qui traduit l’absence de prise du temps humain sur les êtres de foi. Journée de rencontres joyeuses, c’est l’hiver, la saison des pèlerinages pour les Tibétains de l’Amdo, et le monastère fait le plein. Mais il me faut déjà quitter ces ciels d’alpage pour ceux du désert. Direction Zhangye par la ligne Lanzhou-Urumqi, la plus longue ligne de train à grande vitesse de Chine. Plus de 1800 km de voies flambant neuves fendant le désert en deux. Confortablement installée dans ce palais roulant quasi vide, plus proche d’un Shinkansen japonais que de notre bon vieux TGV, je vois défiler les paysages poignant de beauté des monts Qilian, culminant à 5800 m, pour arriver dans le mythique corridor du Hexi, passage coincé entre les plateaux tibétain et mongol, qui fut, durant la glorieuse période des Routes de la Soie, la principale voie d’accès en Chine depuis l’Asie Centrale. Adieu longues caravanes et nuits sous les étoiles. En 2h30, me voici à Zhangye.
Zhangye ne brille pas par sa beauté architecturale, ville de province chinoise comme tant d’autres, hérissée de gratte-ciels où s’entasse une population majoritairement Han, même si elle fut d’abord la capitale de l’état ouïgour du Gansu entre les IXe et XIe siècles. C’est ici, deux siècles plus tard, que Marco Polo et sa famille passèrent une année au service de Kubilai Khan, sous la domination mongole. Une jolie tour du tambour d’époque Ming marque l’hypothétique centre ville. Me voici avançant lentement sur des routes à peine déneigées, au cœur de paysages beaux mais figés par l’hiver, vers les mystérieux « Danxia de Chine ». Site organisé « à la chinoise », avec petits trains pour éviter la fatigue et plate-formes d’observation, le lieu a perdu de sa sauvagerie mais la beauté de ces collines rayées d’ocre, de pourpre, de violet reste hypnotique. Après une promenade matinale, nous reprenons la route pour Matisi. Matisi est l’une des fameuses « grottes aux mille bouddhas » qui prolifèrent en Chine. Les premiers pèlerins s’installèrent au Ve siècle sur ce site où l’empreinte d’un sabot de cheval, « Mati » en chinois, serait venue d’un cheval magique tombé du ciel. Nous voici à 2600 m d’altitude arpentant la jolie route de montagne qui monte à la grotte, au cœur d’une vallée que l’on peut parcourir à cheval l’été.
Le site est désert, luxe du voyage d’hiver. La grotte creusée de petites loggias de prière est d’une beauté touchante. Et le bonheur de se hisser à son sommet par un système d’escaliers tarabiscotés et raides, en passant à travers des pièces secrètes où ici une bouilloire, là un encensoir attend le bonze qui viendra méditer à la tombée du jour, d’autant plus intense. Il me faut déjà quitter le Qinghai et mes nouveaux amis pour continuer cette route qui s’annonce longue. Retour à bord d’un confortable TGV qui me transportera au cœur d’un désert qui n’en est plus vraiment un, constellé à l’infini d’éoliennes qui s’activent sous le vent du Gobi. Vision tangible et déroutante de la transition écologique chinoise en marche. Ici le futurisme surgit à chaque instant, se mêlant au fond des âges. Destination : Jiayuguan, au cœur du Gansu.
Dernier tronçon à l’Ouest de la Grande Muraille, Jiayuguan est une étape à deux visages. Le premier, ouvert et riant, offre l’image d’un site touristique très visité par les Chinois. Imposante forteresse Ming qui protégeait glorieusement l’Empire, la passe de Jiayuguan a été superbement restaurée et offre une promenade délicieuse en fin de journée, l’architecture de pierre et de sable jouant à merveille avec le soleil déclinant, en surplomb du désert. Le second visage de la ville, très industriel, est moins accueillant, mis à part le marché de nuit, très vivant.
Changement de décor. Ce n’est plus le TGV au design épuré qui m’accueille pour continuer le Voyage vers l’Ouest mais une immuable carrosserie vert bouteille, aux arrondis vintage et aux wagons qui s’allongent à l’infini, maculée de loess, semblant tout droit sortir d’un film des années 40. Enfin, un vrai train chinois ! Celui-ci me portera, 6 heures durant, en « Yin Zuo », traduisez « Assis Dur » sur un siège de moleskine pourpre à angle droit, à destination de Dunhuang. Située au sud de l’axe Lanzhou-Turfan-Urumqi, Dunhuang n’est pas desservie par la ligne à grande vitesse qui relie l’essentiel des anciennes oasis de la Route de la Soie. Il faut donc s’y rendre en train lent ou en avion.
Nous sommes encore dans le Gansu mais le grand Ouest chinois commence à se faire sentir. J’ai choisi, pour ces deux nuits d’étape, un hôtel qui de longue date me faisait rêver, le Silk Road. A l’horizon, une immense chaîne de dunes barre littéralement la route. C’est ici que finit la ville et commence le désert. Et quel désert ! Tableau inoubliable de cette fin d’après-midi à la lumière rasante qui blondit les dunes que l’on dit « chantantes ». Le Silk Road est situé à quelques encablures de là, bâtisse contemporaine en pisé qui reprend les codes architecturaux de la région. Ma chambre au joli décor chinois et déjà un peu ouïgour offre une vue sur les dunes du Gobi, un régal !
Le lendemain, après une conversation animée avec les locaux en mandarin pour comprendre la logique des transports en commun de la ville, me voici dans un bus bringuebalant en direction des grottes de Mogao. Ce fleuron de l’art bouddhique fut redécouvert au début du siècle dernier par les explorateurs Paul Pelliot et Aurel Stein, alors que la population de l’époque, à majorité musulmane, ne prêtait plus guère attention à ces centaines de niches et de cavernes peintes de fresques d’une grande beauté, dont certaines remontent au IVe siècle de notre ère. On vit même quelques Russes blancs en cavale s’y réfugier pendant plusieurs mois, noircissant sans vergogne les fresques avec les feux qu’ils allumaient chaque jour pour lutter contre le froid glacial de l’hiver du Gansu. Malgré quelques murs enduits de suie, les fresques sont parfaitement conservées, leurs couleurs d’une émouvante vivacité, car de tous temps protégées de la lumière. Les grottes de Mogao nous font toucher du doigt la puissance de la pénétration du bouddhisme en Chine par cet axe majeur de la Route de la Soie, qui fut, en parallèle des échanges commerciaux, une voie de diffusion de la foi. En témoigne la ferveur de milliers de pèlerins, bonzes et artistes ayant dédié leur vie entière à la représentation de scènes de la vie du Bouddha, peignant sans relâche dans ces espaces confinés et sombres…
Déjà, il me faut reprendre le chemin de l’Ouest, quittant Dunhuang et sa douceur de vivre. Le TGV ponctuel nous emmène à travers des paysages qui s’annoncent de plus en plus beaux. Steppes parsemées de champs de graminées blonds qui se balancent dans le vent, déserts ocres, gris ou noirs tachetés de neige, et, en toile de fond, les Monts du Ciel apparaissant et disparaissant selon le jeu des brumes d’hiver. Le Xinjiang est bientôt là, et Turfan, la première oasis ouïgoure de mon périple, me tend les bras.
Débarquement à Turfan nord. L’ancienne oasis située dans une dépression à 150 m au en dessous du niveau de la mer est devenue une ville importante et active, avec son lot inévitable de gratte-ciel. Par bonheur, la ville ouïgoure, faite de centaines de maisonnettes de pisé s’imbriquant l’une à l’autre par un jeu architectural incompréhensible, est bien vivante ! Elle m’accueille dans le soir glacial avec ses gargotes fumantes, ses petits stands de keppap cuits sur la braise, ses brochettes alléchantes et ses montagnes de pains ronds joliment mis en scène. Je respire à pleins poumons cette Asie Centrale naissante, terre enivrante de couleurs, d’épices, de douceurs. J’ouvre grand mes oreilles pour entendre cette langue râpeuse, gouailleuse et ronde à la fois, le ouïgour, langue turco-altaïque sans lien aucun avec le mandarin. Ici, on s’interpelle en riant, on négocie en feignant la menace, on théâtralise à outrance.
Ces pensées ne m’empêchent pas de me laisser happer par le charme irrésistible de ce Xinjiang aux mille visages. Ce qui surprend en arrivant dans la province la plus à l’Ouest de Chine, c’est la mosaïque de populations, unique au monde. Ouïgours aux yeux bleus, aux yeux verts, aux yeux dorés, aux traits européens ; Kirghiz et Kazakhs aux yeux en amande, au teint cuivré, à la dense chevelure ; Han aux cheveux de soie, au teint pâle. Russes blonds aux iris limpides. Tous se sont mélangés au fil des siècles !
Une fois acclimatée, je plonge avec délectation dans l’Histoire de cette cité charnière flanquée des Monts du Ciel, sise au croisement des Routes de la Soie du Nord et du Sud, enserrant le sinistre désert du Taklamakan. Il faut bien deux ou trois journées complètes pour en embrasser le riche patrimoine. Une première journée me mène vers le nord-est de la ville pour admirer les Flaming Mountains, montagnes désertiques aux ocres rouges d’une grande beauté où la température peut atteindre plus de 70 degrés l’été, comme le rapporte le mythique récit du Voyage vers l’Ouest : le petit singe Sun Wukong y perdit sa queue, dévorée par la chaleur des roches.
Dans une des vallées se cache le village endormi de Tuyok, conservé dans son jus avec ses maisonnettes de pisé aux cours rafraîchissantes, et les grottes bouddhiques de Bezeklik, abritant des fresques des IVe et Ve siècles représentant notamment des pèlerins aux traits ouïghours, qui rappellent l’époque lointaine où la région vivait intensément sa découverte de la foi bouddhique.
Je consacre la journée du lendemain à la découverte du minaret Emin construit sous le règne local du chef ouïgour Emin Khoja au XVIIIe siècle, envoûtant de pureté, pour continuer vers un village très vivant, avec son petit étang où les lavandières viennent battre le linge en chantant de suaves mélopées. Il était prévu que nous déjeunions dans la famille de mon chauffeur, qui mystérieusement annule au dernier moment. Avec les mesures policières très intrusives mises en place récemment dans tout le Xinjiang, les Ouïgours, si accueillants et ouverts traditionnellement, ont peur d’inviter des étrangers chez eux. La visite du musée de Turfan et ses momies parfaitement conservées, suivie d’une balade vespérale au grand bazar qui regorge de tissus chatoyants, de tapis aux rouges et roses pétaradants, me remonteront le moral.
À bord du vieux train de nuit avançant sourdement dans le ciel d’encre du désert. Après une longue conversation avec mes voisins han sur les mutations en marche dans le pays, ignorant souvent le traitement policier infligé aux ethnies minoritaires, après échanges de fruits, de graines de courges et de raisins secs de Turfan comme le veut la coutume dans les trains chinois, je finis par rendre les armes et m’endors, perchée sur ma petite couchette d’une sobriété toute asiatique.
Kashgar me présente un visage inattendu. Là aussi les gratte-ciels commencent à jaillir de terre et la ville chinoise à grandir. J’avais entendu maints bruits sur la destruction de la ville ouïgoure, l’anéantissement de ce patrimoine unique, le dernier de la Route de la Soie chinoise. Un flanc de la vieille ville repose tant bien que mal sur une façade éventrée, quand le quartier central, sis sur son promontoire de terre, bénéficie de restaurations fines et élégantes. Les Chinois ont donc enfin compris que leur patrimoine architectural devait être sauvé, et les rénovations vont bon train. Une partie sera certainement sacrifiée aux promoteurs, l’autre deviendra l’écrin d’une culture passée. Choix rationnel et contestable, mais impossible en Chine de contenir le pas de géant qui file vers la modernité.
Me voilà filant sur la Karakorum Highway parfaitement asphaltée, en direction du lac Karakul, au pied du Mustag Ata, fief des bergers kirghiz. Le paysage est à se damner. Lacs gelés à l’infini, sommets enneigés, steppes blondes et roches rouges qui tranchent sur un ciel bleu roi comme on n’en voit qu’en altitude. Nous montons en effet jusqu’à 3600 m, le souffle se fait court, mais la balade autour du lac, en slalomant entre les troupeaux de petits yaks noirs qui peuplent ses herbes rases, idyllique. Les moutons sont au chaud dans les villages, les yourtes démontées, l’hiver ne me dévoilera pas les beautés du nomadisme qui est encore vivace ici, mais m’offrira sa solitude presque totale, si ce n’est ce groupe de jeunes tadjiks venu s’enivrer d’espace sur le lac gelé.
L’envie de pousser jusqu’à Tashkorgan et la frontière pakistanaise me taraude, mais il faut bien choisir, et demain m’attend le grand bazar du dimanche à Kashgar, rendez-vous dont je rêve depuis un quart de siècle. Sur le chemin du retour, moult embarcations toutes plus improbables les unes que les autres nous escortent, transportant chameaux, chevaux, moutons, vaches et marchandises variées. L’image d’un fier Kirghiz passant à cheval un checkpoint ultra moderne restera gravée dans ma mémoire. Tous ont pris la route pour le grand bazar du lendemain.
À la croisée des routes menant vers le Kirghizstan, l’Afghanistan, le Tadjikistan, le Pakistan, et plus au sud vers le Tibet, Kashgar est un creuset inouï de peuples et le grand bazar, qui m’accueille ce dimanche, en est la preuve vibrante et sonore ! ##mosaic_1##
Il faut d’abord sortir de la ville pour atterrir sur un vaste terrain vague où convergent des centaines de fermiers, bergers, marchands, négociants arrivant à cheval, à dos de chameau, en camion moderne ou en triporteur autour d’un seul intérêt : le bétail. Les ovins sont rois, de tout poil, de toute couleur. Les bovins y ont une place de choix, alors que chevaux et chameaux semblent une denrée rare mais prisée. Dans les frimas du petit matin, les hommes ténébreux s’attablent autour d’un plat roboratif et d’un thé brûlant.
Une fois passé plus d’une heure dans cet univers exclusivement masculin, où ma présence solitaire interroge, je me rapatrie vers le bazar central, plus adapté à ma condition féminine, pour savourer le tourbillon inoubliable de visages, de langues, de soieries, de tapis, d’instruments de musique, de berceaux et de milliers de colifichets chinois chéris des maîtresses de maison locales. Sans parler des gourmandises, qui incarnent à elles-seules le brassage de cultures ayant façonné l’âme de Kashgar depuis le VIIIe siècle. Je me régale d’un riz gluant cuit dans une feuille de bananier, spécialité bien chinoise que l’on retrouve à Shanghai, Taipei ou Singapour, sur lequel d’un geste sûr une babouchka à foulard fleuri étale deux belles cuillères de yaourt de brebis ouïgour, couronnant le tout d’un filet de miel, héritage gastronomique certainement légué par les marchands arabes.
Dès le lendemain, je dois quitter à regret la ville chère à mon cœur pour plonger dans le ventre du Taklamakan. Mais à l’arrivée, aux abords de l’étrange cité de pionniers et de chercheurs de jade, le désert est partout. Hotan, en cette veille de chunjie, ressemble à une étrange Las Vegas orientale endormie. La ville chinoise verticale clignote de tous ses feux mais semble tourner au ralenti. La ville ouïgoure horizontale est plus animée, même si sa destruction s’annonce inéluctable. Le lendemain, j’entreprends de visiter le mystérieux tombeau d’Imam Aslim, prêcheur charismatique qui aurait islamisé la région au XIe siècle. Il me faudra plus d’une heure trente de négociation avec la police locale pour y parvenir. Après 20 mn de marche en plein désert, le tombeau apparaît, émouvant témoignage d’une foi toujours vivace mais fort contrôlée. La petite mosquée attenante a récemment été presque entièrement détruite, on ne saura jamais par qui. Des lambeaux de vêtements d’enfants sont accrochés ça et là sur des piques de bois, pour attirer la fertilité. Vision poignante de deux jeunes femmes aux beaux visages faisant le pèlerinage dans une grande sérénité, seules dans ce morceau de désert.
Hotan se mérite, résiste, la communication en mandarin se fait ardue, les locaux ne le parlant que très rudimentairement. Visite sur le chemin du retour d’un atelier de tapis de laine et de soie, les plus beaux de Chine, où les femmes enchantent le regard de leurs gestes rapides et sûrs. La soie tissée en motifs colorés, le fameux « Adilas » ou « Atlas » que l’on appelle Ikat dans le reste de l’Asie, est l’autre joyau de Hotan, mais je trouverai les ateliers vides, les femmes ayant déjà déserté pour fêter le nouvel an chinois, paradoxe ouïgour par excellence puisque fêtes musulmanes et chinoises sont célébrées par l’ensemble des communautés.
Mon vol du lendemain m’emmène en 1h20 à l’autre bout du Xinjiang, à Urumqi, la capitale, grande ville du Nord adossée aux immenses Monts du Ciel. Ici, en plus des écritures arabes et chinoise, le cyrillique occupe la troisième place officielle. Une importante communauté russe est en effet établie ici depuis le XIXe siècle où eurent lieu de nombreux conflits entre Russes et Ouïgours, époque où Urumqi, ville moderne, prit aussi son essor. L’on me hèle avec des « Rouzki, Rouzki ? » Je profite de mon escale pour visiter le musée, véritable joyau de la province qui retrace l’Histoire des Routes de la Soie, expose des momies bien conservées et propose une promenade ethnographique joliment mise en scène. Dans le gris du soir tombant de cette mégalopole peu engageante, je reprends le chemin de l’aéroport, direction Pékin, puis Paris.
Je laisse derrière moi le visage malicieux d’un grand-père à bonnet de poils, qui dans le sourire qu’il m’accorde me transmets toute sa vision désabusée d’un monde un peu fou, où les radicalités han et musulmanes effaceraient ce plaisir de la rencontre, ce goût du partage et du rire, qui nourrit dix siècles durant l’esprit des Routes de la Soie.
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Clémence Bloc